dimanche 27 septembre 2015

Les aventures du groupe des étirements-cisaillements

Note liminaire : cet article fait suite au précédent, Bereshit ou les passionnantes aventures du plan projectif arguésien. Il est fortement recommandé de l'avoir lu d'abord avant d'attaquer celui-ci. Ceci dit, vous faites ce que vous voulez.
Je signale aussi que je dis toujours : plan affin, et non affine, car j'ai fait mes études en Belgique et dans ce merveilleux pays, dont je n'ai jamais réussi à émigrer malgré mes efforts, on dit comme ça. Mes professeurs d'algèbre et de géométrie projective notamment disaient comme ça, et c'étaient de rudement bons profs, donc j'ai gardé cette habitude. Vous voilà prévenus.

Les étirements-cisaillements, ah là là, c'est toute une histoire... Enfin, c'est une petite découverte à moi, du moins jusqu'à ce qu'on m'apporte la preuve que quelqu'un en a déjà parlé avant, ce qui serait bien... Je devrais en être fier, la faire breveter etc. Au lieu de ça, je suis un peu agacé de constater ce qui me paraît comme une lacune dans les cours de géométrie, puisque on parle toujours du groupe des homothéties-translations ou dilatations-translations ; pourquoi pas des étirements-cisaillements ? C'est la même chose sauf que c'en est le dual projectif ; alors pourquoi cette discrimination ? Pourquoi cette injustice ? Je suis le porte-parole d'un groupe méconnu. Un jour j'ai essayé de rétablir l'équité sur un forum mathématique où des gens très intelligents côtoyaient des gens très stupides qui malheureusement parlaient plus fort. Il faut dire que j'ai moi-même été très stupide ; j'ai très mal expliqué l'affaire, en mêlant vérité et erreur, ça n'a pas vraiment servi les étirements-cisaillements ; j'étais énervé. Auparavant j'avais déjà eu à argumenter contre des gens qui prétendaient que la seule approche valable du plan projectif était de partir des espaces vectoriels, et je n'aime pas beaucoup qu'on discrédite ainsi tout mon travail d'avance ; ça me pousse à parler plus vite que je réfléchis, et ce n'est jamais bon. Résultats, quelques personnes stupides mais influentes m'ont traité comme si j'étais un farfelu qui raconte n'importe quoi et que le groupe des étirements-cisaillements c'était des mathématiques-fiction, en gros. Mais ça, de la part de professionnels censés faire preuve d'esprit critique, c'est grave. Donc, j'ai raté une bonne occasion de faire valoir les droites des étirements-cisaillements, mais c'est pas grave, je vais me rattraper. Ici au moins on ne m'embêtera pas, c'est moi qui décide qui parle, héhé... Bon. Parlons sérieusement. Le groupe des étirements-cisaillements, ce n'est pas une grande découverte, mais c'est un petit truc amusant, vous allez voir.
L'idée générale : quand on définit axiomatiquement le plan affin (comme le fait E. Artin dans Algèbre géométrique), un peu comme nous avons défini le plan projectif dans l'article Bereshit (article précédent, toujours in progress d'ailleurs), on définit ensuite les transformations affines qui conservent cette structure, et parmi elles, il y a les homothéties - qu'Artin appelle dilatations - et les translations, qui forment ensemble un groupe, le groupe des homothéties-translations. Ce sont les transformations affines constituées de la composée d'un nombre fini de translations et d'homothéties de centre fixé. Dans ce groupe, les translations forment un sous-groupe distingué, ce qui veut dire que si h est une homothétie et h' son inverse, et t une translation, le produit h'th est encore une translation, que j'appelle transformée de t par h. De cette façon, les homothéties "agissent" sur les translations, et par le biais de cette action, il est possible de définir la somme et le produit de deux homothéties, de telle façon que le produit soit distributif par rapport à la somme. Et ainsi, les homothéties - assimilées aux automorphismes du groupe des translations (plus l'élément neutre de l'addition qui est une pseudo-homothétie, la seule "homothétie" de rapport 0) - peuvent être dotées d'une structure de corps. Avec des hypothèses supplémentaires appropriées - infini et continuité - ce corps peut être rendu isomorphe, par exemple, au corps des réels, et on obtient ainsi une géométrie affine réelle. Le fait que les homothéties de centre fixé forment un corps permet d'introduire dans le plan affin des coordonnées, et de faire de la géométrie algébrique. La construction complète, dans tous ses détails, est donnée dans le livre d'Artin. Un très bel exposé. Le point de départ est une version affine du théorème de Desargues, grâce auquel les homothéties-translations forment un groupe transitif sur les points - c'est-à-dire que l'on peut atteindre n'importe quel point à partir de n'importe quel autre par une homothétie-translation appropriée - en fait on montre même que le groupe est engendré par les homothéties et deux translations indépendantes fixées. 
Cette construction permet à Artin de montrer que sa version affine du théorème de Desargues permet de doter le plan affin de coordonnées sur un corps, donc de transformer les problèmes de géométrie affine en problèmes algébriques, les figures en équations, etc. C'est très beau, on part de quelques axiomes purement géométriques assez simple et on construit une structure algébrique. Seulement, la méthode proposée par Artin n'est pas unique ; j'ai montré en détail, dans un travail encore inachevé, que l'on pouvait parvenir au même résultat à partir d'un autre groupe de transformations qu'il ne mentionne pas, et qui possède des propriétés symétriques, duales de celles du groupe des homothéties-translations. Mais pour bien comprendre cela, le mieux est de partir de plus haut, du plan projectif. Dans l'article précédent, Bereshit, j'ai montré sommairement - si vous voulez les détails vous n'avez qu'à me contacter, je me fais un plaisir de vous les donner - comment on pouvait, à partir d'axiomes purement géométriques et du théorème de Desargues, doter un groupe de transformations projectives d'une structure de corps, et de la sorte, introduire dans le plan projectif des coordonnées et transformer la géométrie en algèbre. Cette construction est plus générale que celle proposée par Artin, bien qu'elle soit grosso modo identique. La méthode d'Artin en est un cas particulier, valable dans le plan affin qui peut être vu comme une partie du plan projectif, mais il existe d'autres cas particuliers possibles, et c'est ce que je vais montrer.

Replaçons-nous dans le plan projectif arguésien. On va prendre les choses à la base, c'est-à-dire le théorème de Desargues. Dans le ppa, ce théorème peut se formuler ainsi :

étant donnés six points A, B, C, A', B', C' en position générale, si les droites AA', BB' et CC' sont concourantes, alors les intersections des droites AB et A'B', BC et B'C', AC et A'C', sont alignées.

La réciproque est vraie également. Une autre formulation à peu près équivalente est :

étant donnés une droite d et trois points O, A, A' alignés, il existe une perspectivité de centre O, d'axe d, appliquant A sur A'.

Rappelons que j'appelle projectivité une bijection du plan projectif dans lui-même qui conserve l'alignement (et le non alignement), et perspectivité, une projectivité qui possède une droite de points fixe, appelée l'axe. On démontre que toute perspectivité fixe aussi globalement les droites passant par un point fixe appelé le centre.
Le centre peut appartenir à l'axe ou non. Dans le premier cas, c'est une transvection, dans le second, une perspectivité générale. Cette terminologie m'est propre, j'ai dû faire la synthèse de plusieurs auteurs (Buekenhout, Artin), mais vous constatez que chaque terme est parfaitement défini.

Le théorème de Desargues reste valable dans le plan affin. Le plan affin est une structure qui se déduit du plan projectif en "enlevant" une droite (bon, en fait on ne l'enlève pas évidemment, et on ne va pas non plus la "colorer en rouge" comme disent parfois certains auteurs facétieux, c'est juste une image pour dire qu'on va considérer la structure formée des points du plan projectif non compris dans une droite donnée). Cette droite sera appelée "droite de l'infini" ou "droite à l'infini". Il existe aussi une structure intermédiaire, le plan affin complété, dans lequel on considère la droite de l'infini, mais en faisant jouer à ses points un rôle à part. La géométrie du plan affin complété n'est pas très différente de celle du plan affin ; simplement, les mêmes propriétés s'interprètent différemment. Dans tous les cas, on va appeler "parallèles" des droites qui se rencontrent en un point de la droite de l'infini. Dans le plan affin complété, des parallèles sont des droites qui se rencontrent "à l'infini", dans le plan affin elles ne se rencontrent pas du tout, mais toutes les propriétés du plan affin se déduisent de celles du plan affin complété. Donc, le plan affin est le plan projectif dont on a banni une droite, et les droites qui se rencontraient en un point de cette droite sont appelées "parallèles", c'est tout. Le plan affin, complété ou non, n'est donc pas homogène en ses faisceaux de droites, contrairement au plan projectif, c'est la principale différence.
Parés maintenant pour étudier les modifications du théorème de Desargues. Remarquons d'abord que, dans le plan projectif même, deux cas peuvent se produire :

1. La droite d, qui joint les intersections des côtés AB et A'B', etc. ne passe pas par O, l'intersection des droites AA', BB' et CC'
2. La droite d passe par O

Bon, désormais, j'appellerai P, Q, R les intersections des droites AB et A'B', BC et B'C', AC et A'C', respectivement. La droite d est donc la droite joignant les points P, Q et R, ainsi les choses seront claires. La configuration du théorème de Desargues est une configuration auto-duale impliquant dix points : A, B, C, A', B', C', P, Q, R et O, et dix droites, chaque droite comprenant trois points et chaque points appartenant à trois droites ; sauf qu'il existe des configurations de Desargues "singulières", avec une droite qui comprend quatre des points et un point commun à quatre des droites, lorsque P, Q, R sont alignés avec O. Il faut tenir compte de cette possibilité dans la démonstration, c'est tout. Ouvrez n'importe quel livre de gp, c'est toujours comme ça que le théorème de Desargues est présenté ; c'est un théorème de gp, impliquant dix points et dix droites. Ceci dit, il existe toute sorte de formulations alternatives de ce théorème qui peuvent être assez amusantes, comme celle-ci, que j'ai mentionnée dans l'article précédent : deux perspectivités harmoniques commutent (j'appelle perspectivités harmoniques deux perspectivités dont le centre de l'une appartient à l'axe de l'autre et vice-versa). Mais cela n'a guère d'importance ici, sauf que cela vous permet de comprendre pourquoi je voue un culte à ce théorème et à son inventeur, mais ceci relève plus de la psychopathologie que des mathématiques :).
Quand on passe au plan affin, le théorème de Desargues reste valable, mais il se scinde en pas moins de cinq cas, alors qu'Artin n'en mentionne que deux, ce qui est un peu mince, avec tout le respect que j'ai pour cet auteur.
Nous allons énumérer ces cas :

1. Cas général : les dix points sont des points usuels - non à l'infini - , le théorème reste inchangé.
2. La droite d est la droite de l'infini, et O n'appartient pas à d. Cela veut dire que les deux triangles ABC et A'B'C' sont homothétiques depuis O, les côtés homologues sont parallèles. Le théorème peut alors se formuler ainsi :

étant donnés six points A, B, C, A', B', C' tels que les droites AA', BB' et CC' concourent en un point O ; si les droites AB et A'B' sont parallèles et les droites BC et B'C' aussi, alors les droites AC et A'C' le sont également

2bis. Comme avant, d est la droite de l'infini, mais O appartient à d. Les triangles sont alors non plus homothétiques mais translatés, et le théorème se formule :

étant donnés six points A, B, C, A', B', C' tels que les droites AA', BB' et CC' soient parallèles ; si les droites AB et A'B' sont parallèles et les droites BC et B'C' aussi, alors les droites AC et A'C' le sont également

3. Le point O est usuel, les points P, Q également, mais le point R est à l'infini ; le théorème se formule alors :

étant donnés six points A, B, C, A', B', C' tels que les droites AA', BB' et CC' concourent en un point O ; si les droites AB et A'B' se coupent en P et les droites BC et B'C' en Q et que les droites AC et A'C' sont parallèles, alors la droite PQ leur est parallèle également

3bis. Même chose sauf que le point O est à l'infini ; dans ce cas, les droites AA', BB', CC' sont parallèles, de même que les droites AC, A'C' et PQ

Cette numérotation particulière vient de ce qu'il y a en fait le cas général, où tous les points sont usuels, ensuite deux cas possibles selon que la droite d comprend un ou deux points à l'infini (et si elle en comprend deux, elle en comprend au moins trois), et chacun de ces cas se scinde à son tour en deux selon que O est à l'infini ou non. Artin, lui, n'envisage que les cas 2 et 2bis, qui sont très particuliers. Pour avoir dit cela sur le site mathématique susmentionné, un personnage très savant mais néanmoins aussi borné que prétentieux m'a fait passer pour un hurluberlu, comme si l'idée même qu'Artin puisse avoir négligé une partie du théorème de Desargues était aberrante et blasphématoire ; comment peut-on être aussi stupide ? Artin est un grand mathématicien, je l'aime beaucoup et je lui dois beaucoup - mon travail est en grande partie inspiré du sien, je l'ai toujours reconnu - mais il n'est pas la perfection divine incarnée, il y a des limites tout de même. Donc, il a beau être génial, son exposé du théorème de Desargues est incomplet, je suis désolé mais c'est comme ça. Dans le plan affin, il y a cinq versions possibles de ce théorème, ce sont celles énumérées ci-dessus.

Revenons au plan projectif. Le théorème de Desargues permet de doter le plan de coordonnées et donc de transmuer, non pas le plomb en or, mais la géométrie en algèbre, c'est pourquoi je le regarde comme la pierre philosophale des mathématiques (en tout cas de la géométrie) ; si si, je suis sérieux, mais voyons concrètement comment procéder :

1. Fixons un point O et une droite d ne passant pas par O. Si p est une perspectivité de centre O et d'axe d, p' son inverse, t une transvection d'axe d - c'est-à-dire une perspectivité d'axe d dont le centre appartient à d, on montre que la composée p'tp est aussi une transvection d'axe d. C'est la transformée de t par p, que l'on notera p*t. Le groupe des d-transvections est donc un sous-groupe distingué du groupe des perspectivités d'axe d.

2. Par suite, on peut définir le produit et la somme de deux perspectivités d'axe d et de centre O. Le produit est la composée, la somme se définit à partir de l'action de ces perspectivités sur les d-transvections : la somme p + h de deux perspectivités d'axe d et de centre O est l'unique perspectivité k telle que k*t = p*th*t quelle que soit la d-transvection t. On peut montrer par des constructions géométriques que cette perspectivité existe toujours, et qu'elle a d pour axe et O pour centre. Le produit est évidemment associatif, on montre que la somme l'est également.

3. On montre, toujours au moyen de constructions géométriques, très jolies d'ailleurs, que le produit est distributif par rapport à la somme. Le produit est inversible et possède un élément neutre, la perspectivité identique. Pour la somme c'est plus délicat ; il y a diverses manières de faire, moi j'introduis une "pseudo-perspectivité", notée 0, dont l'action sur les d-transvections est de les transformer en la transvection identique (nulle) : 0*t = 1 quelle que soit t, où 1 désigne la transvection qui applique tout point P sur lui-même. Dès lors, 0 joue le rôle d'élément neutre pour la somme, bien que ce ne soit pas une vraie projectivité. De plus, on peut montrer par des constructions géométriques qu'à toute perspectivité p d'axe d et de centre O, on peut associer une perspectivité notée -p telle que p + (-p) = 0, c'est-à-dire que (p + (-p))*t = 0*t = 1 quelle que soit t. Pour cela, on commence par construire une perspectivité auto-inverse, que je note j. On montre ensuite que le produit jp possède les propriétés demandées. Dès lors, la somme possède un élément neutre et toute perspectivité admet un opposé pour cette opération.

4. Tout cela montre que l'ensemble des perspectivités d'axe d et de centre O (complété par la pseudo-perspectivité 0) forme un corps. On montre aussi que ce corps ne dépend pas du choix de O et d : tous les corps obtenus en faisant varier ces deux éléments sont isomorphes (c'est important !).

5. Par des hypothèses supplémentaires, on peut préciser la nature de ce corps. En postulant que tout produit de projections centrales est déterminé par son action sur trois points (alignés), on peut démontrer le théorème de Pappus, qui entraîne la commutativité du corps. En faisant de plus les hypothèses d'infini et de continuité, on s'assure que ce corps contient au moins celui des réels.
J'ai montré qu'il était possible également, au moyen d'axiomes, de définir sur les quadruplets de points alignés une fonction "birapport" à valeurs dans un corps K donné, grâce à laquelle le corps précédemment construit devenait isomorphe à K. L'existence d'une telle fonction entraîne le théorème de Desargues, et de Pappus si K est abélien. (Je ne sais pas pourquoi personne ne semble y avoir pensé avant moi, pourtant c'est assez esthétique ; mais j'ai peut-être mauvais goût :)).
L'isomorphisme entre K et le corps des perspectivité permet d'associer à toute perspectivité un élément de K que j'appelle son rapport. Au produit ou à la somme de deux perspectivités correspond le produit ou la somme de leurs rapports, etc.

6. Bref, maintenant qu'on a un corps, que sa nature est précisée, on peut introduire un système de coordonnées homogènes. Pour cela, on prend quatre points en position générale, O, I, J, K. Soient I' et I'', les projections de I depuis K sur OJ et depuis J sur OK. Pour un point P quelconque (non situé sur JK), on définit pareillement ses projections P', P''. On associe alors à P un triplet (X, Y, Z) avec
X/Z = (J O I' P'), Y/Z = (K O I'' P''). Ici, (J O I' P') par exemple est le birapport des quatre points J, O, I', P', c'est-à-dire le rapport de la perspectivité de centre O, d'axe JK, qui envoie I' sur P'.
Le plan projectif est maintenant rapporté à un système de coordonnées, on peut appliquer à la géométrie toutes les ressources de l'algèbre, alleluïa.

Voilà comment, grâce à Desargues, on procède pour algébriser la géométrie. L'élément clef est le fait que les d-transvections forment un sous-groupe distingué du groupe des perspectivités d'axe d, de sorte que les perspectivités d'axe d et de centre O, autre sous-groupe, agissent sur elles comme des automorphismes du groupe des d-transvections, de là la structure de corps, etc. Vous avez bien saisi je pense, n'insistons pas. Je fournis les détails sur demande.
Une remarque. Quelqu'un qui a l'habitude de "penser projectif" - c'est tout un entraînement mon cher - remarque immédiatement que l'on peut "dualiser" toute cette construction : dans le plan dual, les perspectivités d'axe d et de centre O deviennent des perspectivités de centre d et d'axe O, mais le reste ne change pas. Cela signifie qu'au lieu de considérer les transvections d'axe fixé et de centre variable, on peut considérer les transvections de centre O fixé et d'axe une droite variable passant par O. Appelons-les les O-transvections, O étant le centre. Elles possèdent en gros les mêmes propriétés que les d-transvections : elles forment un groupe commutatif, et elles sont un sous-groupe distingué du groupe des perspectivités de centre O. Cela résulte de ce qui précède par dualité. Donc, on peut aussi doter les perspectivités d'axe d et de centre O d'une structure de corps en les faisant agir sur les O-transvections, plutôt que sur les d-transvections. Cela ne change rien, à part que les O-transvections sont transitives sur les droites mais non sur les points, à l'inverse des d-transvections. C'est très facile à vérifier (et pourtant cela m'a valu d'être traité de fou !). Donc, il paraîtra plus logique de définir d'abord le birapport de quatre droites concourantes ; mais comme de toute façon, il se conserve par projection centrale, et par l'opération duale, on peut à partir de là définir le birapport de quatre points, et introduire les coordonnées ponctuelles comme précédemment ; ou bien, on introduit d'abord les coordonnées tangentielles, c'est-à-dire les coordonnées de droites, et on en déduit les coordonnées ponctuelles par dualité, cela ne change rien. L'essentiel est de comprendre qu'il existe une version duale de la construction présentée ci-dessus, points 1 à 6, et qu'elle mène au même système de coordonnées homogènes.

Et maintenant, on retourne au plan affin. Prenons la construction ci-dessus, points 1 à 6, et supposons que la droite d soit la droite à l'infini. Alors,

- Les d-transvections deviennent les translations
- Les perspectivités d'axe d et de centre O deviennent les homothéties de centre O
- Le groupe des perspectivités d'axe d devient le groupe des homothéties-translations, ou dilatations-translations comme dirait Artin.

Mais tous nos développements restent valables. Cela veut dire qu'en "expédiant l'axe à l'infini", on obtient une action du groupe des homothéties de centre O sur les translations, qui permet de faire de ce groupe un corps, et d'introduire dans le plan affin des coordonnées sur ce corps. La construction d'Artin apparaît simplement comme un cas particulier de la nôtre, avec d comme droite de l'infini. Et c'est là que le vrai géomètre projectif (espèce en voie d'extinction il est vrai) se dit immédiatement qu'il doit exister d'autres variantes de ce cas particulier, et c'est vrai.
Supposons maintenant que ce ne soit plus d qui soit rejeté à l'infini, mais O, c'est-à-dire que la droite de l'infini passe par O, le centre des perspectivités. Il est facile de voir à ce moment-là que

- Les perspectivités d'axe d et de centre O deviennent des transformations affines - transformations projectives qui conservent la droite de l'infini donc la relation de parallélisme - que l'on appelle étirements d'axe d. Ce sont des perspectivités ayant un axe à distance finie, d, et un centre à l'infini, O. Autrement dit, des affinités (transformations affines) qui fixent les points d'une droite, l'axe, et fixent globalement les droites parallèles à une droite donnée, ce qui revient à dire qu'elle fixe globalement les droites passant par un point à l'infini, O. Chaque étirement est caractérisé par un axe, une direction, et un rapport, le rapport de la perspectivité correspondante. Les réflexions ou symétries axiales sont un cas particulier d'étirements ; ce sont des étirements de rapport -1. Je me demande combien de géomètres affins sont conscients, aujourd'hui, qu'il n'y a pas de différence essentielle entre une symétrie axiale et un étirement, ni même entre un étirement et une homothétie, puisque c'est toujours une perspectivité générale dont un des éléments (centre ou axe) est à l'infini. Sûrement pas beaucoup si j'en crois mon expérience, pourtant c'est le cas. Franchement, tout l'intérêt de la gp est qu'elle nous révèle les symétries entre des objets ou des opérations apparemment très différentes ; si on ne comprend pas ça, je ne vois pas très bien l'intérêt d'en faire. Malgré cela, une conséquence de l'approche algébrique pure qui prévaut aujourd'hui est que même des mathématiciens très calés n'arrivent pas à voir facilement ces symétries (entre étirements et homothéties par exemple). C'est triste. Mais c'est la preuve que mon approche ("géométrique pure") est utile à quelque chose.

- Les d-transvections ne changent pas, elles restent des transvections ordinaires, sauf si le centre est O, alors elles deviennent des translations, mais ce sont les seules. Ce qui est intéressant, en revanche, c'est que les O-transvections, elles, deviennent un autre genre d'affinités dont on n'a pas encore parlé jusqu'à présent, et dont on parle trop peu souvent, j'ignore pourquoi ; ce sont les cisaillements. J'aime bien les cisaillements. C'est essentiellement la même chose qu'une translation, sauf que c'est beaucoup moins intuitif. Pour la plupart des gens, une translation est juste une application de la forme P' = P + v, où P est un point (affin) et v un vecteur fixé. Mais c'est une vision superficielle des choses, je suis désolé de le dire. De manière plus fondamentale, une translation est une perspectivité dont le centre et l'axe sont à l'infini, c'est-à-dire une transvection d'axe la droite de l'infini. Il est essentiel de comprendre qu'une translation possède un centre et un axe, autant qu'une symétrie axiale ou qu'une homothétie. Car on peut toujours changer la position de la droite de l'infini ; cela ne change rien à la structure affine, sauf que les faisceaux sécants ou parallèles ne sont plus les mêmes, et les affinités changent aussi de nature : une homothétie peut devenir un étirement, et une translation un cisaillement. Il est toujours possible de changer de droite de l'infini. La position de celle-ci n'est pas un absolu. La distinction entre homothétie et translation est donc essentielle - jamais une homothétie ne deviendra une translation, parce que son centre n'est pas sur l'axe - tandis que la distinction entre homothétie et étirement, non. Et de toute façon, toutes ces transformations ne sont que des cas particuliers de perspectivités, elles ont toutes en commun d'avoir un centre et un axe (et aussi de conserver le birapport), c'est cela qui les définit essentiellement. Si tu n'as pas compris ça, tu n'as pas vraiment saisi le fond de l'affaire.
Revenons à nos amis les cisaillements. Les cisaillements sont donc aux étirements ce que les translations sont aux homothéties. Ce sont des transvections dont le centre est à l'infini, l'axe non. Mais puisque le centre est sur l'axe - c'est le point à l'infini de l'axe - celui-ci est conservé globalement, donc le parallélisme est préservé, ce sont des affinités. Un cisaillement est une affinité qui fixe les points d'une droite, l'axe, et fixe globalement toutes les droites parallèles à l'axe. Tous les points glissent donc dans la même direction, celle de l'axe, mais plus on s'éloigne de l'axe, plus ils glissent fort, et vice-versa. Au niveau de l'axe même, le glissement est nul. Toute droite non parallèle à l'axe pivote autour de son point d'intersection avec l'axe, qui est fixe. De là vient le terme de cisaillement. C'est un mouvement qui évoque vraiment celui d'une paire de ciseaux. De plus, le groupe des cisaillements de centre fixé est transitif sur les droites, comme celui des translations est transitif sur les points. Cela veut dire qu'il existe toujours un cisaillement de centre O qui envoie une droite sur une autre ; elles vont pivoter relativement autour de leur point d'intersection, jusqu'à coïncider. En revanche, il n'existe pas toujours un cisaillement de centre O qui envoie un point sur un autre. C'est donc le contraire des translations : il existe toujours une translation qui envoie un point sur un autre, mais pas une droite sur une autre, à moins qu'elles soient parallèles. De même, pour qu'il existe un cisaillement de centre O appliquant un point sur un autre, il faut qu'ils soient alignés avec O. Tout cela s'explique aisément par le fait qu'un cisaillement est une translation dans le plan dual (le plan affin complété possède un dual comme le plan projectif), et vice-versa. L'analogie entre cisaillements et translations est vraiment très forte ; pourtant, des gens très sérieux ce sont moqués de moi pour avoir dit ça ; il y a vraiment des jours où on ferait mieux de rester couché.

- Bref. Puisque les étirements sont aux cisaillements ce que les homothéties sont aux translations, on peut les faire agir de la même façon, ou plutôt de la façon duale, comme indiqué ci-dessus. On obtient alors le groupe des étirements-cisaillements, groupe des perspectivités de centre O fixé à l'infini. Dans ce groupe, les cisaillements de centre O forment un sous-groupe distingué, et les étirements d'axe d fixé ont une action sur les cisaillements, qui permet de les doter d'une structure de corps. Tout le reste du processus est identique à ce qui a été fait plus haut. Dès lors que les étirements forment un corps, que l'on a imposé les conditions nécessaires pour pouvoir l'identifier à un corps donné, par exemple celui des réels, ont peu introduire des coordonnées, etc.

Vous avez compris ? à partir de là, tout devient identique à ce que l'on peut trouver dans les livres de géométrie affine réelle existants. Ce qu'il faut retenir, c'est :

1. On dualise la construction du corps à partir des perspectivités d'axe fixé, comme ci-dessus, en faisant agir les perspectivités d'axe d et de centre O sur les O-transvections plutôt que sur les d-transvections ;
2. Le point O est envoyé à l'infini avec mes compliments, autrement dit on choisit comme droite de l'infini une droite qui passe par O ;
3. On obtient alors une construction duale de celle d'Artin, où l'on construit le corps à partir du groupe des étirements-cisaillements (de centre O fixé).

Cela permet de construire un système de coordonnées affines tout à fait ordinaire. Mais cela m'a aussi donné l'idée d'un autre système de coordonnées affines : si l'on part d'un repère projectif, constitué de quatre points de base O, I, J, K, au lieu de choisir comme droite de l'infini JK, et d'avoir ainsi un repère affin, constitué d'une origine O et de deux vecteurs OI', OI'' (I', I'' étant les projections parallèles de I sur les axes de base OJ, OK), on peut faire passer la droite de l'infini par O. On obtient alors un plan affin complété, rapporté à un repère dont l'origine appartient à la droite de l'infini, dont les axes sont parallèles, et les autres points de base des points usuels. J'ai décrit en détail ce type de repère dans mon travail. Il fonctionne tout à fait comme un repère affin "normal", sauf que l'origine est à l'infini.
Concrètement, ce repère est constitué de deux droites parallèles, j et k, deux points J et I' sur j, K et I'' sur k. Pour trouver les coordonnées d'un point P quelconque, on prend ses projections P' et P'', depuis K sur j et depuis J sur K. On calcule les rapports JP'/JI' et KP''/KI'' ; ce sont en fait les rapports des étirements d'axe JK qui envoient I' sur P' et I'' sur P'', respectivement. Ce sont ces nombres qui fourniront les coordonnées de P. Pour trouver le point P connaissant ses coordonnées, on procède de la façon inverse, on prend l'intersection des droites JP'' et KP'. Seulement, pour les points de la droite JK, il faudra introduire une troisième coordonnée, tandis que certains couples (x, y) correspondent à des points à l'infini. En pratique donc, on devra garder des coordonnées homogènes, même si le plan est affin (complété). Cela n'a aucune importance, on peut très bien travailler en coordonnées homogènes dans le plan affin complété. On vérifiera aisément que les droites auront des équations linéaires homogènes, les coniques des équations quadratiques homogènes, etc.
On peut vérifier tout cela facilement, je pense que j'ai fourni assez d'éléments. Je peux fournir plus de détails sur demande. De toute façon, pour ce qui est du groupe des étirements-cisaillements, et de la construction du corps à partir de ce groupe, je pense que les choses sont parfaitement claires. C'est la variante duale de la construction proposée par Artin ; je ne pense pas que personne de sérieux n'ose contester cela après mes explications. Pourtant, je le répète, j'ai été traité d'imbécile et de divagateur par des gens plus calés que moi pour avoir exposé ces choses. C'est triste, mais voilà, il y a des gens qui ne supportent pas l'idée que quelqu'un de moins cultivé qu'eux (mathématiquement) puisse avoir découvert spontanément des choses qui leur échappent. Je me demande d'ailleurs pourquoi ces choses échappent à tant de monde ; moi j'ai des connaissance limitées en algèbre, c'est vrai - je continue d'apprendre remarquez - mais depuis longtemps, je suis habitué à penser de façon projective, c'est-à-dire en termes de dualité, de perspectivités, de polarités, etc. Cela crée une sorte de réflexe pour déceler des analogies comme celle entre translations et cisaillements. C'est ce réflexe qui est utile, à mon avis ; et l'intérêt de cette approche très géométrique est, par exemple, de voir tout de suite qu'il existe un groupe des étirements-cisaillements dual du groupe des homothéties-translations. C'est au moins intéressant à signaler, non ? Enfin, moi ce genre de choses m'amuse énormément. Ceci dit, j'ai conscience que ça ne va pas changer la face du monde ni des maths, t'inquiète pas.

Et puis tiens ! Je vais en rajouter une couche, et fustiger la bêtise de ceux qui croient avoir tout compris parce qu'ils parlent de "carte affine" plutôt que de repère affin, comme moi ; "carte", ça fait plus mystérieux, c'est vrai, mais en fait il s'agit juste d'un ensemble d'éléments géométriques permettant de repérer la position d'un point ; c'est tout bête, et c'est pourquoi, moi, je préfère parler de repère. Et rien ne dit que ces éléments doivent obligatoirement consister en un point et deux vecteurs indépendants ; d'ailleurs deux vecteurs indépendants, en réalité, c'est juste deux translations indépendantes. On construit le corps à partir des homothéties et translations, ensuite, dire que le plan est rapporté à un point origine et deux vecteurs de base, c'est comme dire qu'on peut atteindre n'importe quel point donné à partir d'un point O par une combinaison linéaire de deux translations indépendantes fixées ; mais les translations sont juste des transvections d'axe la droite de l'infini. Cela veut dire que si ça marche avec les translations, ça marche avec n'importe quel type de transvections, par exemple des cisaillements. Donc, même s'il est plus intéressant en pratique d'avoir deux points de base à l'infini, ça ne change rien aux propriétés du plan affin d'utiliser un repère constitué de quatre point usuels et des coordonnées homogènes, par exemple ; tout le monde connaît le principe du repère barycentrique. Mais ce que l'approche algébrique pure, et la soumission de la géométrie à l'algèbre, empêchent bien des gens de voir, c'est qu'il n'existe aucune différence fondamentale entre un système de coordonnées barycentriques et une "carte affine". Ce sont deux cas particuliers d'un repère projectif transposé dans le plan affin complété, c'est tout. Aucune différence fondamentale. Alors bon, ces gens qui me jettent à la figure des "cartes affines" et des mégatonnes d'algèbre alors qu'ils ne voient même pas ces analogies fondamentales, qui traitent mon groupe des étirements-cisaillements de délire et pour finir m'accusent de "réécrire les mathématiques à ma façon", comprenez selon ma fantaisie, je suis désolé, mais c'est vous qui n'êtes pas sérieux, les gars. Revenez à la géométrie. J'adore l'algèbre supérieure, c'est pas ça, mais l'axiomatique du plan projectif, il n'y a que ça de vrai pour bien comprendre le plan projectif et le plan affin. Voyez Coxeter. Commencez par comprendre la notion de perspectivité, et on reparlera de cartes affines.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire